25 sept. 2012

SRPSKI FILM (A Serbian Film) | 2009

Permet-moi en tant que réalisateur de te montrer ce que c'est qu'une vraie victime !...
Cette phrase, dans le film de Srdjan Spasojevic, est prononcée par l'acteur qui incarne le rôle de Vukmir, un réalisateur quelque peu atypique (!) qui souhaite dans cette séquence de Srpski Film montrer au personnage central Milos jusqu'où l'on peut aller dans la définition même de ce simple mot : victime. La scène qui suit est en effet relativement insoutenable pour tout être humain normalement doté du minimum requis en facultés humaines. C'est pourtant là, à l'écran - et donc aussi sur le nôtre, de fait - et Milos se lève avant même la fin de la projection à laquelle il assiste - pas nous, serais-je tenter de dire dans la foulée...
Je vous le dis tout de go, cher(e)s lecteurs-trices, A Serbian Film est ce que j'ai vu de mieux depuis des lustres, peut-être depuis Naked de Mike Leigh. Comme tous les films où on ne prend pas le public pour du temps de cerveau disponible, vidée de sa substantifique moelle, mise en berne dans un monde de pubs débiles & d'émissions s'adressant a des QI à peine plus évolués que celui d'une amibe, A Serbian Film a suscité de vives controverses lors de ses (trop rares) sorties en salle. Ce film est cependant réservé à un public adulte et responsable...

Milos, le hardeur candide...
Acteur porno jouissant de son pécule honnêtement gagné à la sueur de son front et du reste, Milos vit tranquillement et bourgeoisement en compagnie de sa charmante compagne et de son fils dont il assure au mieux l'éducation avec amour et aussi grâce à l'argent qu'il a pu mettre de côté. Ce n'est pas que le métier lui manque mais force est de constater que la thune s'envole très vite... Sa réputation dans le X serbe est plutôt convoitée. Endurant, juste assez rude pour stimuler la libido de ses partenaires et se donnant à fond, bien monté - ce qui est un plus pour les caméras... - il a conquis son public et a su asseoir sa notoriété en tant que hardeur. Ses productions personnelles ne l'ont par contre jamais satisfait mais il semble que notre protagoniste veuille définitivement tourner la page jusqu'à ce qu'une amie du métier se rappelle à son bon souvenir en lui faisant une offre de tournage au cachet dépassant de loin tout ce qu'il aurait pu espérer mais le scénario lui échappe, tout simplement parce qu'il va s'accomplir au fil du tournage...


A Serbian Film agit comme un mauvais trip, c'est son côté psychédélique lié à l’absorption de drogues qui déstabilise Milos autant que le spectateur. Les séquences de flashback,  le découpage des scènes ainsi que le montage sont pourtant parfaitement maitrisés. La lumière a également son importance sans oublier la bande-son qui est juste parfaite ! Ainsi, on ne peut que souscrire au fait que, comme son nom l'indique : Srpski Film est... un film. C'est là tout le talent d'Aleksandar Radivojevic & de Srdjan Spasojevic, ils savent nous faire partager cette plongée dans les abîmes de l'âme humaine, cette lumière crue projetée sur le noir profond de notre condition humaine. On vacille, on est écœuré mais on est aussi fasciné et invité à réagir selon notre instinct.

Srbski Film Soundtrack - Sky Wikluh (Compositeur)
Srpski Film - A Serbian Film [ost] by Bukowski Louis on Grooveshark



Un film serbe peut nous renseigner sur ce qui se vit en Serbie actuellement, cette républi-dictature repliée sur elle-même, mais ce serait aller un peu vite en besogne. Les aliénations, les manipulations qui sont clairement montrées dans ce film sont bien celles de notre époque et elle ne se limitent pas à un pays loin s'en faut. Les nombreux détracteurs du film l'ont montré du doigt comme une incitation à la pédophilie, au viol, au meurtre, bref à tout ce que vous pouvez imaginer de pire et dont les journaux télévisés se repaissent, captant ainsi l'attention & suscitant les commentaires à l'emporte-pièce du quidam lambda... La véritable interrogation se trouve justement dans le face à face exacerbé que propose A Serbian Film, tellement énorme qu'il en devient presque caricatural mais pourtant tout à fait déconcertant. Par ailleurs on notera quelques métaphores en forme de clin d'œil comme lors de cette discussion dans une cuisine entre le frère et la femme de Milos. La boucle d'oreille en forme de croix du frangin tandis que la femme de Milos lui tend une pomme avec désinvolture, la suite de cette scène est encore plus... pittoresque.

BRÛLE, SERBIAN FILM, BRÛLE!
UNE ENTREVUE AVEC SRDJAN SPASOJEVIC
LE REALISATUER DE A SERBIAN FILM

Interviewer: Vuk Radic
“Toutes ces rumeurs de gens qui sont malades ou qui s’évanouissent durant mon film sont loin d’être vrais. Je n’aime pas le fait que les médias et certains membres du public sont si préoccupés par ces rumeurs. Ils portent attention à la controverse plutôt qu’au film. ” C’est comme ça que Srdjan Spasojevic, dont le premier long métrage A SERBIAN FILM est en voie de devenir le film le plus controversé de l’histoire du cinéma serbe, défend son honneur pendant que nous discutons dans les bureaux de sa compagnie de production, Contra Film, à Belgrade.

Après avoir vu le film, il est impossible de ne pas mentionner les rumeurs sur la violence et certaines réactions des médias par rapport au film, mais également, comment l’attention de médias a biaisé les perceptions du public et des établissements d’état. « Pouvez vous croire que ce soit le seul film réalisé en Serbie depuis plus de 15 ou 20 ans qui a été fait sans aucune contribution de l’État et des établissements culturels ? » demande Spasojevic, sans tristesse ou perplexité, mais presque satisfait. Et il a raison d’être satisfait. Dans un pays où il n’y a aucune production indépendante et où chaque film est financé soit par l’état, soit par une coproduction entre l’état et les fonds créateurs européens, Spasojevic a fait un film qui n’a pas cessé de provoquer l’intérêt des distributeurs depuis sa première à SXSW.

« Hey, nous n’avons pas même obtenu le montant insignifiant de postproduction mandaté par la loi que le gouvernement donne pour subventionner la culture serbe et le cinéma. Des douzaines de lettres que nous avons envoyées à toutes les intuitions pour trouver du financement, nous avons obtenu une seule réponse. Et c’était non. Mais tant pis. J’ai décidé de produire le film moi-même et j’ai réussi à trouver l’argent par mes propres moyens, » explique Spasojevic. « Mais vous savez ce qui est pire encore? Les distributeurs serbes n’ont aucune idée de ce qu’ils peuvent faire avec ce film. Ils attendent de voir la réaction des foules avant de même toucher ce film. De la même manière que l’administration d’état nous a tourné le dos jusqu’à ce qu’elle soit sûre. Mais ils n’ont aucune idée de ce que ce film fait pour la promotion de la Serbie. Nous venons d’avoir notre première européenne en Belgique. Le prince de la Belgique nous a serré la main. Il nous a posé plein de questions avant et après la représentation et a écouté le film au complet. Et notre ministre de la politique étrangère doit attendre des mois afin de rencontrer le prince, mais il s’est simplement présenté à notre première. Pendant SXSW, Austin ne parlait que d’A SERBIAN FILM et de la Serbie. Dites- moi que ce n’est pas une superbe promotion gratuite pour un pays comme le nôtre. »

 
Bien que Spasojevic aime les films des années 70, tous les problèmes rencontrés par cette production ont rendu impossible l’utilisation des caractéristiques de l’époque – les images granuleuses. En fait, le film entier a été filmé numériquement, quoique sur la caméra RED. « La décision d’utiliser la caméra RED fut facile à prendre. Nous avons fait tous les calculs, et il n’y avait simplement pas assez d’argent pour filmer sur pellicule. Comme je l’ai mentionné, nous avons été entièrement financés de façon indépendante et j’étais responsable de tout l’argent. C’était un problème énorme puisque j’ai grandi avec le film granuleux et je n’aimais pas les images numériques. Heureusement, notre DP, Nemanja Jovanov, m’a convaincu que le RED était la meilleure solution. Je lui ai fait confiance et il s’est avéré fantastique. C’est le premier film, pas seulement en Serbie, mais dans la région entière à avoir été entièrement filmé avec une RED. C’est un risque à prendre, mais nous avons été récompensés. De toutes les présentations que nous avons eues jusqu’ici, tout le monde est 100% certain que nous avons employé du film. Ils sont stupéfaits lorsqu’ils apprennent que tout est numérique. »

De tous les ennuis de production auxquels ils ont été confrontés, un en particulier ressort du lot. Très peu de films aujourd’hui peuvent se vanter de quelque chose de si bizarre. « J’étais tellement choqué par ce qui est nous est arrivé à Munich que je raconte habituellement cette histoire après chaque présentation, juste pour m’amuser ». Spasojevic raconte une histoire qui aurait pu provenir de FAHRENHEIT 451 de Bradbury : « Ainsi, le film entier a été filmé numériquement et nous avons dû le transférer en pellicule. Nous avons signé un contrat avec le célèbre laboratoire Arri à Munich et tout était superbe. Nous leur avons envoyé le film fini et ils ont fait quelques essais pour nous. Nous avons choisi celui que nous avons aimé le plus et ils ont commencé à transférer le fichier numérique entier sur de la pellicule. Le processus entier a pris environ un mois et, pendant ce temps, nous étions à Belgrade pour nous occuper de quelques autres projets. Nous sommes seulement arrivés à Munich après avoir envoyé tous les fichiers, quelques jours avant que le transfert soit complété. »

« Quelques problèmes ont été soulevés, même avant que nous soyons allés récupérer les copies complétées. Nous avons trouvé des erreurs dans l’image. Il s’avère que le laboratoire Arri n’avais jamais fait le transfert d’un film entier filmé exclusivement avec une caméra RED. Nous avons signalé l’erreur et les avons aidés à la corriger. Ils se sont excusés et, naturellement, la première copie a été à leurs frais. Ils nous ont même demandé si nous pourrions leur envoyer plus de matériel afin qu’ils puissent pratiquer. Certainement, pourquoi pas. Nous leur avons envoyé d’autres fichiers et tout était très bien. Ainsi, nous arrivons à Munich pour chercher les premières copies et nous devions repartir le jour suivant. Nous arrivons au laboratoire et nous sommes salués par un groupe de personnes en habits que nous n’avions jamais rencontrées auparavant. Les Allemands ouvrent la réunion comme suit : « Bonjour, vous savez, nous avons quelques problèmes avec ce film » J’ai immédiatement pensé qu’ils ont gâché l’image de nouveau. « Non, non, non. Ce n’est pas que genre de problème » dit monsieur habit. « Nous avons un problème avec le contenu du film ». Je dois avouer que ça m’a fait rire sur le coup. Mais il semble qu’il ne plaisantait pas. »


« Et ils commencent à discuter de l’histoire… Est-ce pornographique? Est-ce snuff? Mais nous sommes parvenus à les convaincre qu’il n’y a en fait aucune scène de porno ou, du moins, aucune pénétration. Si Antichrist pouvait le faire, pourquoi pas nous ? Mais ils n’étaient pas satisfaits. Il s’avère que l’esprit du film les a effrayés et ils se sont présentés à la première avec des avocats et des types qui se sont avérés être une sorte de police de la censure. Ainsi, vous entrez dans une situation ridicule où vous devez expliquer à ces personnes que ce qu’ils ont vu est une œuvre de fiction et nullement vraie, que la violence est nécessaire et utilisée comme une métaphore sur une société qu’ils ne connaissent même pas et comprennent encore moins. Mais ils ont juste continué à secouer leurs têtes en disant que le tout avait l’air un peu trop vrai. Ce qui les inquiétait le plus était la scène de décapitation. Et alors j’essaye d’expliquer bêtement que c’est l’élément d’horreur dans notre film. Et pourquoi est-ce correct quand quelqu’un se fait décapiter dans un dessin animé? Le type à qui j’essayais d’expliquer ceci m’a regardé d’un regard vide et m’a carrément dit que nous savons que ce n’est pas vrai dans un dessin animé. Ça n’a pas aidé du tout ce que j’essayais d’expliquer que c’était des effets de maquillage et des effets spéciaux. Ils ont juste refusé de tenir compte de nos arguments. Ils doivent avoir pensé que nous avons fait notre propre film snuff en privé, ou quelque chose du genre, et que nous dépensions maintenant 50,000 euros pour le transférer sur du film 35mm. »

« Cette conversation a duré une éternité et nous nous sommes rendu compte qu’ils ont juste recueilli toutes ces personnes en habits pour nous dire ce qu’ils ne voulaient pas nous dire eux-mêmes – ils ne finiront pas ce projet, même s’il n’y a aucune loi claire les empêchant de le faire. Je pense qu’ils se sentaient inconfortable de mettre leur sceau à la fin de notre film. Il est intéressant de noter qu’ils n’avaient évidemment pas vu le film au complet, puisqu’ils n’ont pas mentionné la scène la plus brutale. Aussi drôle que cette histoire puisse paraître maintenant, en y repensant, la réalité est beaucoup plus effrayante – c’est le 21e siècle et quelqu’un a trouvé suffisamment de témérité pour juger une œuvre d’art inappropriée et la détruire. Les pellicules du film sont symboliquement détruites en les brûlant. Et c’était les Allemands qui les brûlaient. Intéressant me direz-vous? Naturellement cet incident nous a donné une superbe histoire à raconter pour promouvoir le film, mais c’était un obstacle de production duquel nous aurions pu nous passer. Nous avions été mis à la porte sans personne pour nous soutenir et pour prendre notre défense. La même chose nous est arrivée avec le deuxième laboratoire que nous avons choisi. Après avoir appris des expériences antérieures, nous nous sommes assis avec les personnes du laboratoire et avons visionné le film en entier. Ils nous ont dit qu’il n’y avait aucun problème et qu’ils le feraient. Ils ont fait tout le travail, ont imprimé les copies… puis ils ont changé d’avis et n’ont jamais livré les copies. Nous avons finalement trouvé un laboratoire privé à Bucarest qui n’a eu aucune objection à faire notre film et avons reçu les copies seulement dix jours avant la première mondiale à Austin. »

Sources :

Qualité DVDRiP | TRUEFRENCH


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