19 mai 2011

PARADIS POUR TOUS - Un Film d'Alain Jessua (1982)

Mais d'où sort-il ces vieux films qui ne sont même plus diffusés sur les chaines numériques ? Je vois bien dans les stats de ce blog que si le post "Les valseuses" de B.Blier est souvent consulté parce qu'il fait partie des films cultes, "Le sucre" de Jacques Rouffio souffre en revanche d'une grande solitude et c'est bien dommage car il a en commun avec "Paradis pour tous" d'être une vision prémonitoire de ce vers quoi tendait la société au tout début des années 80. Tandis que Rouffio jouait les trouble fêtes dans l'univers de la haute finance et des petits actionnaires anticipant d'environ 30 ans sur la crise de 2008, Alain Jessua propose une fiction où le mal être au travail et dans la vie privée peut être résolu grâce à une méthode révolutionnaire de "flashage" irradiant un point précis de l'hypothalamus. Le "flashé" passe de son état dépressif  à celui d'un bonheur béat, quasi robotique. Ça ne vous évoque rien ? Eh bien moi, je recommanderais chaudement aux salariés de France Telecom, à ceux de Pôle Emploi, Renault, La Poste voire même à certains enseignants, de faire la connaissance du Docteur Pierre Valois (Jacques Dutronc) pour qu'ils puissent bénéficier de son traitement miracle plutôt que de s'enfoncer dans la dépression, de se jeter par la fenêtre ou de se pendre sur leur lieu de travail (boutade, of course)...

Alain Durieux (Patrick Dewaere) n'en peut plus de son job de VRP aux assurances "La Vie", de son couple (avec la craquante Fanny Cottençon) & de sa quinquagénaire de belle-mère (Stéphane Audran), il se sent dans l'impasse et tout foireux. Il rate même son suicide, ce qui le conduit à être interné en psychiatrie où il accepte d'être flashé... Comment rentrer dans la norme en surpassant même les exigences et les contraintes imposées par la société, c'est tout l'attrait de ce film qui érige avec ironie des individus devenus imperméables à toute forme d'angoisse en modèles sociaux. La neutralité émotionnelle que procure le flashage ressemble étrangement à un méga antidépresseur, un psychotrope aux effets irréversibles qui change la perception des choses, de la vie.

"À présent, je ne regarde plus ce que je n'ai pas mais ce que j'ai."Sans émotions, le personnage interprété par Dewaere se fond dans l'image proposée par la pub même la plus ringarde. Il devient un miroir auto-satisfait de l'archétype humain que le système cherche à vendre, un parfait reflet, peut-être trop parfait... En fait, on a plutôt affaire à un monstre qui ne pourra vivre qu'au sein d'un groupe exclusivement composé d'autres flashés. La norme c'est aussi le refus de vieillir, le thème du culte de l'éternelle jeunesse est abordé avec Édith, la belle mère, une caricature de quinqua jouant les minettes, trop rousse, trop fardée, trop bronzée, moulée dans un maillot panthère et des robes stretch aux couleurs à faire mal aux mirettes...

Par quelque bout qu'on le prenne, le film renvoie inéluctablement au formatage, à la pression exercée sur les êtres qui réduit le champ des possibles, la liberté d'assumer ce que l'on est en se soustrayant aux modèles (à rollex) qui voudraient influer sur les choix qui jalonnent l'existence aux contours par définition mouvants. L'apparence, la performance, les "dents qui rayent le parquet" sont des valeurs carrément sublimées dans cette vision du monde puisque l'avenir de l'humanité passe par une phase d'élimination du doute, de l'empathie, de l'introspection qui sont inhérents à la personne en tant qu'humain, à la fois fragile et en devoir d'affronter seul ses démons intérieurs. C'est paradoxalement le dernier film de Patrick Dewaere qui met fin à ses jours peu de temps après le tournage. On regrette autant l'acteur que la personne qui semblait riche des tourments qui composent parfois nos vies et qui dans ce film apparait déshumanisé, figé dans un personnage au masque d'une béatitude artificielle... Ce n'est donc pas le rôle qui nous rappelle le plus qui était ce grand bonhomme. Quant à Stéphane Audran, ce sera pour elle le début d'une série de films où elle incarne des rôles de femmes à demi barges, enlaidies et vieillies et elle me plait tout autant dans ces interprétations là.





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